CORDIER (P.)

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CORDIER PIERRE (1933- )

Aujourd’hui, en photographie comme dans les autres arts, les images rigoureusement nouvelles sont aussi rares que sont infinies les variations sur des modèles anciens. Pierre Cordier est sans doute un des seuls créateurs à avoir produit une image que nul n’avait contemplée auparavant.

Né à Bruxelles, Pierre Cordier entame une carrière de photographe professionnel qu’il abandonnera en 1967. Il invente en 1956 ce qu’il appellera le «chimigramme». Ami de Georges Brassens, qui préface le catalogue de son exposition à la Bibliothèque nationale de Paris en 1979, Cordier avait rencontré quelques photographes illustres comme Otto Steinert (un des fondateurs de la Subjektive Fotografie) en 1958, dont il suit les cours à Sarrebruck, et Aaron Siskind en 1977, qui le marque profondément. Depuis 1965, il enseigne à l’École nationale supérieure des arts visuels de La Cambre, à Bruxelles.

Le «chimigramme» combine la physique de la peinture (vernis, cire, huile) et la chimie de la photographie (émulsion photosensible, révélateur, fixateur), sans recours à l’appareil photographique ni à l’agrandisseur et en pleine lumière.

Le mot «chimigramme» désigne à la fois la technique et l’image qui en résulte. On le réalise sans caméra et sans chambre noire, c’est-à-dire en pleine lumière. En photographie ordinaire, la lumière sélectionne les différentes tonalités de l’image proportionnellement aux différentes valeurs d’éclairement de l’objet photographié. Puis les bains de développement traitent l’émulsion sur toute sa surface, uniformément. Le chimigramme procède de façon exactement inverse. La lumière impressionne immédiatement et uniformément toute la surface sensible, et les bains chimiques, contrôlés par un «produit localisateur», agissent sélectivement d’après un schéma préalablement dessiné par l’artiste. Selon l’ordre des bains dans lesquels on trempe l’émulsion, le révélateur donnera les noirs et le fixateur donnera les blancs. À partir de ce principe, de multiples variations sont possibles. Outre les émulsions et les bains, Cordier utilise comme produit localisateur différentes substances qui peuvent être molles ou dures, grasses ou sèches, cassantes ou poisseuses, chaque matière produisant un effet spécifique. De même, l’adjonction de colorants dans les bains de développement crée une gamme de coloris d’une finesse et d’une sensibilité surprenantes. En 1963, Cordier invente une extension de son procédé, le photo-chimigramme, qui permet d’obtenir un chimigramme à partir d’un dessin ou d’une photo préexistante, ce qui réintroduit le figuratif dans son art.

Dans les lignes, la texture, les coloris, les accidents ponctuels dus au hasard, le chimigramme invite le regard à pousser ses investigations, à fouiller, voire à scruter à la loupe chaque détail comme aux débuts de la photographie. Le spectateur peut avoir le sentiment de contempler une pure expression de ce que serait la «beauté naturelle», semblable à celle des coraux, des minéraux ou des fibres ligneuses, à cela près qu’ici l’homme reste maître de l’ouvrage. Cordier ne nie pas l’influence qu’il reçoit de certaines œuvres, comme les tissus Showa du Zaïre ou la peinture de Paul Klee. Mais si la référence picturale intervient dans la gestation conceptuelle d’un chimigramme, elle cesse de jouer dès la mise en route du processus chimique. À ce moment, toute la responsabilité de l’image finale incombe à la lumière, aux aléas, aux réactions physico-chimiques, qui lui confèrent la finition, la brillance, la préciosité et le charme glacé d’une épreuve photographique.

Malgré sa persévérance à assumer une position totalement nouvelle, Cordier paie encore le tribut des rapports tumultueux qui ont souvent opposé la peinture et la photographie. Parce que le chimigramme est un bâtard, né d’une manipulation illégitime, aux yeux des puristes, parce que les peintres le disent photographie et que les photographes le disent peinture, il dérange notre besoin de rationalité et de classification. Bâti sur des paradoxes, le chimigramme est une image dont la virginité est liée au malaise de celui qui la crée. Depuis 1956, Cordier explore les ressources infinies de son procédé, tout en refusant qu’il soit assimilé à la photographie ou à la peinture. Par ce refus, et la souffrance qui en découle de n’être jamais véritablement reconnu, Pierre Cordier voue le chimigramme à la perfection et à la transparence d’une image libre de toute ascendance.

Depuis 1987, Pierre Cordier a illustré, avec le principe du chimigramme, un poème en espagnol de Jorge Luis Borges, La Suma (90 mots, 406 lettres), qu’il a décliné de différentes façons. Une importante rétrospective lui a été consacrée en 1988 au musée d’Art moderne de Bruxelles. Pierre Cordier a exposé son travail à l’occasion de deux expositions présentées au Centre Georges-Pompidou: J. L. Borges en 1993 et La Ville en 1994.

Des chimigrammes figurent dans les collections du musée d’Art moderne à New York, de la George Eastman House à Rochester, du Folkwang Museum à Essen, de la Bibliothèque nationale à Paris et de la Gernsheim Collection à l’University of Austin.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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